Lise Antunes Simoes est une romancière qui se définit comme passionnée par l’Histoire et cela se voit. Sur son site internet www.liseantunessimoes.com, l’on peut découvrir de nombreux articles dédiés à son appétence pour le XIXe siècle. Autoéditée et auteure de fanfictions, cette auteure française s’est installée au Québec. La saga Les filles de Joie constitue une trilogie. Le premier tome s’intitule Le Magnolia, le second L’heure bleue et le dernier : la grimace du tigre. Ce livre épais a d’abord été publié au Canada, l’édition Les Edités Editeurs exporte l’ouvrage en France cette semaine.
Ce roman est une fiction historique, dans laquelle lecteur suit le parcours de Victoire, rêveuse et naïve. Originaire d’un milieu relativement favorisé, celle-ci grandit dans le respect des traditions. Pourtant, cette héroïne fait face à un évènement inattendu, qui va totalement bouleverser ses quotidiens. Rejetée à cause d’une grossesse non désirée, fruit d’une passion qui ne dure pas, Victoire quitte le berceau et cherche un refuge. Seule et exclue, elle travaille dur pour survivre dans ce milieu hostile et résolument misogyne. Malgré son environnement, celle-ci parvient à donner naissance et abandonne l’enfant auprès d’un couvent. Dans cette spirale de misère et malgré des efforts colossaux, la jeune femme se retrouve face au mur. Affamée, affaiblie et endettée jusqu’au cou, le piège de l’existence se referme sur elle. Comment s’en sortir ? Le Magnolia est une maison close, tenue par Madame Angèle… Certes, cela ne ressemble aucunement à la vie dont rêvait Victoire, mais ce lieu semble présenter une échappatoire intéressante.
Finalement, ce serait peut-être là le seul moyen de vivre décemment, d’avoir un toit au-dessus de la tête et de pouvoir manger. L’instinct de survie l’emporte sur l’égo, c’est pourquoi elle accepte de se lancer dans la prostitution. A l’image d’une « Mary Sue », le personnage de Victoire est caractérisé par un courage qui force l’admiration mais qui manque parfois de réalisme. En effet, l’environnement dans lequel Victoire naît est aux antipodes de la rue et des situations subies et dépassées, ces obstacles terribles de la vie. Son enthousiasme, son idéalisme sont des traits qui correspondent parfaitement à cet archétype d’héroïne, ce portrait de rêveuse invétérée, qui poursuit sa soif de liberté et d’indépendance, peu importe le prix à payer…
Au sein de la famille des Boivin, la réputation passe avant tout. Dès le début du texte, le lecteur sent que le pouvoir patriarcal est écrasant. Grâce à une mise en place efficace, l’auteure parvient à situer et guider son lecteur. Ainsi, ce dernier ne perd pas de temps à comprendre la nature du décor. Dans cette famille où l’on travaille le bois et où l’on joue le violon, chacun a des comptes à rendre auprès du père Adémar. Le personnage de Victoire est exclu, sans aucun doute à cause de son genre féminin, considéré comme « le sexe faible ». Mise à l’écart, elle réussit pourtant à développer un certain talent dans cet artisanat élitiste. Ironiquement, ses frères sont moins doués qu’elle. Amoureuse de Germain, l’apprenti d’Adémar, le chef de la maison — le gamin inexpérimenté est jeune. Les deux entretiennent une relation dangereuse, mais vouée à l’échec puisque Victoire souhaite se marier avec un homme qui jouirait d’un statut plus glorieux que celui de luthier… Parfois cruelle, car brute de décoffrage, mais ambitieuse, la fille rêve de Montréal. Cette protagoniste passionnée par la lecture cultive des attentes, qui ne sont pas en adéquation avec son quotidien et encore moins avec ce qu’on exige d’une « femme traditionnelle » en plein dix-neuvième siècle.
Dans l’espoir fou de défier l’autorité paternelle et de s’épanouir dans cet aspect rebelle de sa personnalité, Victoire brave souvent l’interdit. Elle fume, couche avec un garçon… Face à un retard de règles angoissant, la jeune fille cherche de l’aide. Plutôt que d’aller consulter un médecin, la mère de famille, Sidonie, l’envoie chez une « accoucheuse » aux airs de sorcière. Celle-ci confirme bien la grossesse de l’adolescente de dix-sept ans, qui refuse d’épouser Germain. Totalement brisée par la nouvelle, la mère rendue malade finit par solliciter le père, lui demandant s’il souhaite se marier avec l’héroïne… Dans une scène catastrophique et dramatique, le père Adémar s’en prend aux femmes de la maison, après avoir appris la révélation. Reniée, elle est jetée à la rue — seule, les autres personnages la fuient. Abandonnée de tous, Victoire se confie au prêtre Thomas. A l’écoute et sans jugement, celui-ci comprend l’étendue de la situation… Enfin, Victoire quitte Boucherville pour Montréal où une petite chambre l’attend ainsi qu’une toute nouvelle existence… Mais tout ne se passera pas comme prévu. Sa rencontre avec une femme qui l’aborde dans la rue de la grande ville va tout bouleverser : son rapport aux hommes, son évolution et surtout son train de vie.
Ce premier tome d’une trilogie érotique et historique pose les bases d’une intrigue classique et efficace. Le rythme du récit est particulièrement bien maîtrisé, ce qui permet au lecteur de ne jamais s’ennuyer. Avec cette héroïne en quête de liberté et peu soucieuse des conséquences de ses actions, le lecteur souhaitera au mieux assister à sa métamorphose grâce à une suite très attendue. Une expérience immersive et des descriptions précises, qui donnent l’occasion de s’évader à travers un livre parfois cru mais qui retranscrit parfaitement le sexisme ordinaire, persistant à ce jour.
Le site du livre : https://lesfilles-dejoie.fr/
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